Publié le 5 juin 2023 Mis à jour le 6 juillet 2023

L’hypothèse d’efficience des marchés postule que les prix des actifs financiers représentent la meilleure évaluation de la valeur fondamentale des dits actifs. L’un des éléments sous-tendant cette hypothèse est la présence sur les marchés d’opérateurs qualifiés d’« arbitragistes » dont l’objet est de profiter des anomalies de marchés, c’est-à-dire des différentiels entre valeur de marché et valeur fondamentale. Ainsi, un arbitragiste achètera les actifs considérés comme sous-évalués et vendra ceux considérés comme surévalués, corrigeant ainsi les anomalies.

En réalité, les arbitragistes doivent faire face à trois principales contraintes, également qualifiées de limites à l’arbitrage : l’incertitude informationnelle, les coûts de transaction, et le risque spécifique. L’incertitude informationnelle représente la capacité d’un investisseur qualifié à évaluer la valeur fondamentale d’une firme à un coût raisonnable (limite 1). Les coûts de transaction (commissions, fourchettes de prix, impact de marché), s’ils sont significatifs, peuvent rendre l’arbitrage inintéressant économiquement (limite 2). Enfin, les arbitragistes étant souvent sous-diversifiés, le risque spécifique auquel ils s’exposent ne peut pas être éliminé, pouvant ainsi dissuader l’arbitrage s’il est trop élevé (limite 3).

Alors que de nombreuses études récentes se sont intéressées à la performance sociale et environnementale des entreprises (RSE) et à son lien avec la performance financière, aucune n’a jusqu’à présent évalué son impact sur les limites à l’arbitrage. Théoriquement, deux scenarios sont envisageables et aboutissent à des conclusions opposées. Dans le premier scenario, la RSE permettrait de réduire la variabilité des résultats de l’entreprise en la rendant plus pérenne. Cela aurait pour effet d’en faciliter l’évaluation et de réduire l’incertitude informationnelle, d’autant plus qu’un comportement « éthique » se traduirait par une meilleure qualité de l’information comptable (limite 1). Par ailleurs, les investisseurs institutionnels étant de plus en plus soucieux de la performance extra-financière, la RSE serait associée à une plus grande détention par ces investisseurs. La liquidité associée à une détention institutionnelle importante serait alors de nature à réduire les coûts de transaction associés à ces titres (limite 2). Enfin, un comportement plus responsable permettrait de réduire certains risques (poursuites judiciaires, boycotts), réduisant ainsi le risque spécifique de l’entreprise (limite 3). Ainsi ce scénario aboutit à postuler une relation négative entre RSE et limites à l’arbitrage.

Dans le second scénario, la RSE pourrait à l’inverse rendre l’évaluation des entreprises plus délicate. En effet, aucune définition officielle de cette métrique n’existe et les normes de divulgations laissent énormément de place à l’interprétation. Les informations sociales et environnementales pourraient dans cette optique représenter un « bruit » non nécessairement lié aux fondamentaux, et rendant par conséquent l’évaluation des entreprises plus ardue (limite 1). Par ailleurs, le lien entre RSE et performance financière demeure équivoque. Ainsi, les coûts associés aux politiques sociales et environnementales pourraient contribuer à réduire les marges de manœuvre des entreprises, rendant leurs résultats financiers plus incertains (limite 3). De même, les politiques environnementales et sociales pourraient également faire partie de stratégies d’enracinement de la part des dirigeants, augmentant les problèmes d’agence et les coûts de transaction (limite 2). Ce second scénario aboutit ainsi à postuler une relation positive entre RSE et limites à l’arbitrage.

La relation entre RSE et limites à l’arbitrage est par conséquent une question empirique. Pour la traiter, nous étudions un échantillon d’entreprises de l’indice boursier américain S&P 500 (2002-2020) et montrons que les entreprises socialement responsables sont associées à un degré plus élevé de limites à l’arbitrage. Notre étude suggère ainsi que les politiques de RSE menées par les entreprises rend l’activité d’arbitrage plus difficile et plus risquée, conduisant à une mauvaise évaluation des prix des actions. Cette relation est de nature à réduire l’efficience des marchés et donc à induire une mauvaise allocation du capital.
 

M. Arouri (Université Côte d'Azur), S. Ayed (Léonard de Vinci Pôle Universitaire Research Center), M. Gomes (Université Clermont Auvergne) - "Are socially responsible companies harder to arbitrage?" - Management international / International Management / Gestiòn Internacional, Volume 27, Number 1, 2023, p. 141–156
https://www.erudit.org/en/journals/mi/1900-v1-n1-mi07950/1098928ar/abstract/