Rôle des Escherichia coli adhérent et invasif dans la maladie de Crohn : leçons tirées du modèle de récidive postopératoire
La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) qui altère considérablement la qualité de vie des patients. Elle peut entrainer des lésions intestinales progressives qui peuvent nécessiter une résection intestinale. La physiopathologie de la MC est encore mal connue mais le rôle des Escherichia coli adhérents et invasifs (AIEC) a été mis en évidence bien que leur contribution dans la genèse et l’évolution de la maladie ne soit pas élucidé. Les résultats de l’étude clinique (en lien avec le groupe national REMIND) ont montré que la présence d’AIEC au moment de la résection chirurgicale ou dans les 6 mois après la chirurgie semblent être un facteur de risque de récidive post-opératoire. L’éradication de ces bactéries représentent donc un enjeu majeur dans la prise en charge de la MC.
La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) dont la physiopathologie résulterait d’une interaction anormale entre le microbiote intestinal et le système immunitaire de l’hôte sous l’influence de facteurs génétiques et environnementaux. Les symptômes de la maladie sont une diarrhée chronique, des douleurs abdominales, ainsi que des signes généraux (amaigrissement, fatigue). La maladie évolue par poussée et provoque des complications telles que les fistules ou les sténoses qui nécessitent une résection chirurgicale. Les traitements actuels ne sont pas curatifs mais visent à soulager les symptômes, cicatriser la muqueuse et prévenir la destruction intestinale. Les anti-TNF-α représentent la classe thérapeutique considérée comme la plus efficace mais les mécanismes d’action restent imparfaitement connus et jusqu’à 30% des patients sont non répondeurs. De part ses conséquences invalidantes, sa nature chronique et récidivante, la MC représente un enjeu majeur de santé publique.
Parmi les anomalies du microbiote intestinal retrouvées chez les patients atteints de MC, le rôle des Escherichia coli adhérents et invasifs (AIEC) isolés de patients et caractérisés il y a plus de 20 ans par l’Unité M2iSH (Pr Darfeuille-Michaud) a été suggéré. Ces bactéries se caractérisent par (i) leur capacité à adhérer et envahir les cellules épithéliales intestinales, (ii) leur capacité à survivre et se répliquer au sein des macrophages sans induire leur mort, (iii) leur capacité à induire la sécrétion de taux élevés de TNF-α par les macrophages infectés. Cependant, la manière dont ces bactéries contribuent à la genèse de la MC n’est pas totalement comprise.
La chirurgie n’étant pas curative dans le cas de la MC, la récidive post-opératoire (RPO) est donc une préoccupation majeure. Celle-ci se produit principalement dans l’iléon et est caractérisée par une évolution au cours du temps tel que : apparition de petits ulcères aphteux, suivis de lésions plus avancées comportant des ulcérations de plus en plus importantes. La période post-opératoire précoce représente donc un modèle pertinent pour étudier les premiers stades de la genèse de la MC iléale.
Dans cette étude nous avons utilisé le modèle de RPO dans la MC pour mieux comprendre le rôle des bactéries AIEC dans les premiers stades de la MC grâce à une cohorte prospective multicentrique de patients atteints de la MC ayant subi une résection iléocolique. L’identification des bactéries AIEC a été réalisée à partir d’un prélèvement de pièce opératoire (M0) (N=181 patients) et dans l'iléon néoterminal (n=119 patients/181) au cours d'une coloscopie réalisée 6 mois après l'opération (M6). La récidive endoscopique postopératoire a été évaluée à l'aide de l'indice de Rutgeerts. Les microorganismes associés à la muqueuse ont été analysés par séquençage 16S à M0 et M6.
La prévalence des AIEC est deux fois plus élevée dans l’iléon néoterminal à M6 (30,3%) que dans la pièce opératoire à M0 (14,9%) (p<0,001). La présence d’AIEC dans l’iléon néoterminal à M6 est associé à un taux plus élevé de lésions iléales précoces (i1) (41,6% contre 17,1%) (p=0,048) ou de lésions iléales (i2b + i3) (38,2% contre 17,1%) (p=0,040) par rapport à l’absence de lésion (i0). La présence d’AIEC dans la pièce opératoire était prédictive d’un taux de récidive plus élevé de RPO classé i2b à l’endoscopie (p=0,049) et sévère (p=0.017). Alors que seulement 5% (6/119) des patients présentaient des AIEC à la fois à M0 et à M6, 43.7% (52/119) des patients ayant des antécédents de présence d’AIEC à M0 ou M6 présentaient un risque plus élevé de RPO endoscopique iléale (p=0,048) et de RPO endoscopique sévère (p=0,013). La colonisation par les AIEC a été associée à une signature spécifique du microbiote retrouvant une abondance accrue de Ruminococcus gnavus, également associé à un risque plus élevé de RPO par sa capacité à dégrader la couche de mucus présente sur les cellules épithéliales intestinales.
Les données de cette étude semblent donc indiquer que la présence des bactéries AIEC au moment de la résection chirurgicale ou dans l’iléon néoterminal 6 mois après la chirurgie serait un facteur de risque de RPO endoscopique et donc que les AIEC seraient impliquées dans les premières étapes de la MC iléale.
Référence de la publication :
Anthony Buisson 1 2 , Harry Sokol 3 4 5 , Nassim Hammoudi 6 7 , Stéphane Nancey 8 , Xavier Treton 9 , Maria Nachury 10 , Mathurin Fumery 11 , Xavier Hébuterne 12 , Michael Rodrigues 13 , Jean-Pierre Hugot 14 , Gilles Boschetti 8 , Carmen Stefanescu 9 , Pauline Wils 10 , Philippe Seksik 3 4 , Lionel Le Bourhis 7 , Madeleine Bezault 15 , Pierre Sauvanet 13 16 , Bruno Pereira 17 , Matthieu Allez 6 7 , Nicolas Barnich 13 ; Remind study group
Plus d'informations : http://dx.doi.org/10.1136/gutjnl-2021-325971
Coordonnées :
Pr Anthony BUISSON, Service des maladies de l'appareil digestif, CHU Estaing, Clermont-Ferrand, France. Inserm U1071, M2iSH, Université Clermont Auvergne, USC-INRA 2018, Clermont-Ferrand, France
e-mail : a_buisson@chu-clermontferrand.fr
Tel : 04 73 75 05 23
Pr Nicolas BARNICH, Directeur de l'Unité M2iSH, U1071 UCA/Inserm, USC INRAE 1382, Université Clermont Auvergne, Clermont-Ferrand, France
e-mail : nicolas.barnich@uca.fr
Tel : 04 73 17 70 84