Publié le 5 janvier 2023 Mis à jour le 5 janvier 2023

Un texte de la Minute Recherche par Fabienne COLAS-RANNOU (CHEC, unité propre de recherche).

Les blocs sculptés du « Monument des Néréides » constituent, depuis les années 1840, un des fleurons des collections du British Museum de Londres. On peut observer une reconstitution de l’une des façades en marbre du monument dans une salle du musée, voisine de la célèbre salle des marbres du Parthénon, au sein du département des Antiquités grecques.

Si les archéologues et historiens de l’art ont pris l’habitude de lui donner un nom grec (« Néréides », divinités marines grecques), ce monument est en fait une expression de la culture lycienne du IVe siècle avant J.-C., marquée à la fois par un fort substrat anatolien et une ouverture à la culture grecque.

Ces vestiges proviennent du site antique de Xanthos en Lycie, dans le sud-ouest de l’actuelle Turquie. Le monument, érigé vers 390-380 avant J.-C., était le tombeau du dynaste (ou roitelet) de Xanthos, Erbbina (en lycien) / Arbinas (en grec). Dynaste anatolien, sujet du Grand Roi perse, Arbinas était aussi ouvert à la culture grecque. L’architecture et le décor sculpté de l’édifice présentent de nombreux signes d’une mixité entre les traditions locales et des emprunts à l’art grec.
Les statues de figures féminines placées entre les colonnes ioniques constituent des pièces marquantes du décor. Vêtues de tuniques qui ondulent et traduisent leur mouvement vif, elles apparaissent au-dessus d’animaux marins. La proximité stylistique de ces statues avec la sculpture grecque classique du « style riche » (vers 430-370) est évidente (mise en valeur du corps féminin, tournoiement des draperies, effets de transparence). Ces éléments ont fait naître le nom usuel du monument dans le milieu des archéologues européens de formation classique.

Mais l’étude iconographique met en évidence des écarts avec les Néréides de la sculpture et de la peinture sur vases grecques. En revanche, l’enquête menée vers la production anatolienne plus ancienne, révèle des parallèles avec l’iconographie hittite de l’âge du Bronze et l’iconographie « néo-hittite » des reliefs en pierre datés du Xe au VIIIe siècle av. J.-C. Il existe en effet dans l’Anatolie ancienne une tradition de représentation de divinités debout sur le dos de leur animal-attribut. Les documents épigraphiques lyciens permettent par ailleurs de reconstituer des liens entre Arbinas et des nymphes locales liées à une source, nommées Eliyãna en lycien.

Ce sont ces Eliyãna que les figures féminines sculptées devaient certainement évoquer. Ce regard nouveau met l’accent sur l’originalité lycienne, née de la rencontre entre spécificités locales, fonds anatolien rémanent et appropriation de l’art grec.