Publié le 11 juillet 2022 Mis à jour le 11 juillet 2022

Un texte de la Minute Recherche par Philippe Bourdin (CHEC, unité propre de recherche).

Jean-Gabriel Gallot (1744-1794) est médecin dans les campagnes déshéritées d’un Poitou défait par les épidémies (variole, dysenteries, typhoïde, coqueluche, rougeole, etc.). À cheval ou à pied, plus que ne le lui permettent ses forces, il se met au service des humbles dont il observe avec désarroi le quotidien miséreux, les disettes, la sensibilité aux « charlatans ». Hostile à l’acharnement thérapeutique, rejetant les abus de la saignée, il cherche les remèdes au plus près de la nature (cataplasmes, émollients, émétiques, emplâtres vésicatoires, etc.). Il croit en la vertu des cures vers lesquelles il dirige ses clients les plus fortunés ; lui-même est nommé intendant des eaux minérales de Réaumur et de Saint-Laurent.

Il doit à sa compassion, ainsi qu’à la forte et généreuse personnalité de son père, conseiller financier des nobles locaux, d’être accepté par une population catholique, lui, le protestant des assemblées du désert clandestines. Grand lecteur, collectionneur éclectique des nouveautés de librairie, Gallot succombe à la découverte de Jean-Jacques Rousseau, dont les préceptes éducatifs deviennent pour lui une règle de vie – une posture aussi, quand il se déguise en misanthrope, ce que contredit chacun de ses actes. Le stoïcisme, qu’il découvre à la suite, le sort de ses contradictions : « Les extrêmes se touchent, et il est de l’homme de les éviter. Trop de compagnie ou une solitude trop absolue sont également désagréables ».

Ses observations nourrissent une réflexion médicale, météorologique, agronomique. L’ancien étudiant des facultés de Paris et de Montpellier, des cours du Jardin du Roi, met à profit les leçons de ses maîtres prestigieux, tels Thouin, Daubenton, Petit. Il participe aux nouvelles sociabilités (académies, loges maçonniques), à d’importantes institutions nationales (Société royale de Médecine, Société d’agriculture de Paris), à des réseaux savants internationaux qu’il entretient par son abondante correspondance.

L’homme d’action s’ennuie pourtant parfois aux réunions trop longues, préférant le terrain. Il plaide pour installer dans les campagnes des hospices de charité médicalisés. Il n’obtient pas le soutien espéré du couple Necker, dont il admire l’action dans la capitale. La Révolution, qu’il rallie comme député du tiers état du Poitou aux États généraux, va lui sembler un levier nécessaire pour faire sauter les verrous politiques. S’il ne compte pas parmi les orateurs, il produit alors des écrits en faveur d’une Déclaration des droits de l’Homme, d’une Constitution et d’une réorganisation des études médicales, et participe à la lutte pour la liberté de conscience et des cultes.

Par sa philanthropie, sa valorisation du savoir et de la raison, sa croyance dans les progrès de l’humanité, son goût pour l’amitié et sa participation à la « République des Lettres », Gallot incarne parfaitement l’homme des Lumières. Il construit le lien, qui ne va pas de soi, entre celles-ci et la Révolution. Il nous rappelle aussi combien compte la province dans ces grands moments de la vie intellectuelle et politique dont la mémoire nourrit encore bien des références contemporaines.


Pour aller plus loin :

  • BOURDIN (Philippe), Jean-Gabriel Gallot, un médecin des Lumières au chevet de la Révolution, Paris, Editions du CTHS, 2022.
  • DESAIVE (Jean-Paul), GOUBERT (Jean-Pierre), LE ROY LADURIE (Emmanuel) et alii, Médecins, climats et épidémies à la fin du XVIIIe siècle, Mouton-École Pratique des Hautes Études, Paris, La Haye, 1972.
  • POULIQUEN (Yves), Félix Vicq d’Azyr, les lumières et la Révolution, Paris, Odile Jacob, 2009
  • TACKETT (Timothy), Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997.